Unité ou pluralité de l’algèbre en Europe
(XIIe – XVIe siècles)


Colloque international

du 14 au 16 mai 2009

Centre d’études supérieures de la Renaissance, Tours, France


Comité organisateur : Sabine ROMMEVAUX (Centre d’études supérieures de la Renaissance – CNRS), Maria-Rosa MASSA ESTÈVE (Université Polytechnique de Catalogne,  Barcelone), Maryvonne SPIESSER (Université Paul Sabatier, Toulouse)
Comité scientifique : Sabine ROMMEVAUX, Maria-Rosa MASSA ESTÈVE, Maryvonne SPIESSER, Marco PANZA (CNRS, REHSEIS), Eberhard KNOBLOCH (Technische Universität, Berlin)

Problématique scientifique

Depuis plusieurs décennies, les historiens des mathématiques ont porté une attention toute particulière à deux moments de l’histoire de l’algèbre : sa naissance dans les mathématiques rédigées en arabe, au Xe siècle (on pense notamment, en France, aux travaux de Roshdi Rashed et de son équipe) et son développement à partir du XVIIe siècle, en Europe, depuis les traités de Descartes et de Viète (on ne compte plus les travaux sur ces deux auteurs). Ces derniers représentent un tournant de l’histoire de l’algèbre avec l’utilisation systématique des notations symboliques, mais aussi le développement d’une algèbre des équations, voire la naissance de la géométrie analytique. Les colloques qui ont été organisés ces dernières années portaient essentiellement sur l’une ou l’autre de ces périodes, parfois sur l’une et l’autre en même temps.
Récemment, l’attention de quelques chercheurs, souvent isolés, s’est porté vers la période charnière entre ces deux moments forts de l’histoire de l’algèbre : la fin du Moyen Âge et la Renaissance, en Europe. Des études ont montré l’importance des arithmétiques pratiques qui fleurissent, à cette période, en particulier en Italie et dans le sud de la France, et sont un vecteur de diffusion de l’algèbre arabe. L’algèbre française a fait l’objet de plusieurs travaux, dont certains insistent sur ses aspects rhétoriques. En Espagne, des travaux récents mettent au jour des traités inédits en langue castillane. On note aussi des travaux sur l’algèbre anglaise à la Renaissance.
Le colloque que nous organisons à Tours en mai 2009 portera donc exclusivement sur cette période charnière de l’histoire de l’algèbre, du XIIe au XVIe siècles, en Europe. L’algèbre arabe n’y sera pas absente, mais ne sera étudiée que comme source, au côté d’autres sources comme l’arithmétique de Diophante.
Ce colloque a été préparé lors d’une série de rencontres qui ont eu lieu au CESR de Tours, mais aussi à l’université de Toulouse depuis fin 2006. Ces journées d’études ont été organisées par Sabine Rommevaux, Maria-Rosa Massa Estève et Maryvonne Spiesser. Elles ont eu pour thèmes : « Algèbre et arithmétique » (décembre 2006), « Algébrisation du livre X des Éléments d’Euclide » (juin 2007), « Autour de l’algèbre de Pedro Nuñez » (janvier 2008 et juin 2008).
Les discussions qui ont eu lieu lors de ces journées nous ont conduites à poser la question d’une unité ou d’une pluralité de l’algèbre . Nous avons fait un premier constat : des histoires de l’algèbre proposent des analyses de textes qui, à première vue, si l’on se réfère à leurs titres, ne se présentent pas comme des traités d’algèbre. On peut prendre comme exemple l’Arithmetica integra de Michael Stifel. Par ailleurs, les traités qui se présentent comme des arithmétiques pratiques trouvent bien souvent leur place dans les histoires de l’algèbre. Qu’est-ce qui permet à des historiens modernes de placer ces textes dans une même branche de l’histoire des mathématiques, celle de l’algèbre ? Sans doute trouvent-ils des similitudes dans les objets qui y figurent, dans le choix des problèmes qui y sont traités et dans les procédures de résolution de ces problèmes. Mais la perception de ces similitudes est trop souvent renforcée par une vision rétrospective de l’histoire qui reconnaît dans les traités anciens des prémisses de l’algèbre moderne.
Or, selon les auteurs de la période étudiée, ce que nous pensons reconnaître comme se rattachant à l’algèbre n’a pas le même statut : pour certains, il s’agit d’un prolongement de l’arithmétique, pour d’autres, c’est un art permettant de résoudre les problèmes mathématiques de manière nouvelle. Quand des historiens parlent, dans tous ces cas, d’algèbre (au singulier), ils laissent entendre qu’il s’agit d’une discipline dont les objets et les méthodes sont bien définis. Est-ce le cas en cette fin du Moyen Âge et à la Renaissance ? Voilà l’enjeu de notre colloque : reconnaître la diversité des approches derrière l’unité d’un terme qui les englobe et les similitudes que l’on croit déceler au premier abord.
Nous nous poserons donc la question du statut de ce qui est développé dans les textes traditionnellement rattachés à l’algèbre. Nous nous intéresserons pour cela à ce que les auteurs font réellement dans ces textes, mais aussi à ce qu’ils nous disent de ce qu’ils y font, notamment dans les préfaces (tout en prenant garde à l’écart qu’il peut y avoir entre une intention affichée et une pratique réelle).
Nous chercherons en particulier à savoir si derrière des différences de statut de ce que nous croyons reconnaître comme appartenant à l’algèbre se cachent des objets de nature différente et des manières différentes de poser les problèmes et de les résoudre.  Nous chercherons aussi à savoir si selon les textes, on peut noter des relations divergentes de l’algèbre aux autres disciplines constituées depuis l’Antiquité, que sont l’arithmétique, la géométrie ou encore la théorie des proportions qui jouent bien souvent le rôle de fondement ou de justification des procédures algébriques.
Nous nous demanderons si des traditions textuelles différentes sont à la source des divergences que nous pourrions observer à tous ces niveaux. Ainsi, nous serons attentifs à la manière dont les traités d’algèbre en langue arabe ont été reçus et réinterprétés. De même, nous regarderons comment les Arithmétiques de Diophante sont lues et utilisées. Nous verrons s’il existe d’autres sources, issues d’autres traditions.
Nous nous demanderons enfin si l’on peut observer des divergences régionales. L’historiographie moderne parle parfois d’algèbre italienne, allemande, anglaise, française et plus récemment ibérique. Que cachent ces régionalismes ? Au niveau des notations, les divergences sont connues, et sur ce point il est intéressant de noter que des traditions se croisent. Peut-on mettre à jour d’autres particularités de type régional, en ce qui concerne le statut des objets, les relations qu’entretient l’algèbre avec les autres disciplines ou encore l’utilisation de telle ou telle source ?
Ce sont ces questions, mêlant considérations épistémologiques et historiques, que nous souhaitons soulever lors de ce colloque.